Septembre 1944 : Le siège et la bataille du Havre.

 

Les Havrais, réunis autour du monument aux Morts, ce mardi 12 septembre 1944, venus se joindre au Comité de Libération, aux autorités municipales, rendaient hommage aux plusieurs milliers de concitoyens, morts pour la plupart les jours précédant la Libération.

Si depuis 1940 Le Havre avait été la proie des bombardiers allemands puis alliés, anéantissant petit à petit la ville, c’est au cours de la phase ultime de la guerre que la ville allait connaître sa destruction quasi totale.

 

Après l’effondrement des forces allemandes à Falaise et leur retraite subite vers la Seine, les Alliés franchissent fin août 1944 le fleuve à leur poursuite et se lancent vers la Belgique qu’ils atteignent début septembre. La grande majorité des troupes allemandes va se reconstituer au-delà du Rhin. Elles laissent derrière elles, plusieurs poches de résistance dont Le Havre, Dieppe, Boulogne, Calais. Mais cette avancée fulgurante va vite poser des problèmes de logistique aux Alliés car le ravitaillement des troupes s’effectue toujours par Cherbourg et le port artificiel d’Arromanches. Le Havre, port en eau profonde, base idéale, devient en ce début septembre 1944 l’objectif principal des troupes britanniques. Les éléments avancés arrivent par l’Est le 2 Septembre et une première échauffourée à Gainneville annonce tout de suite que la Forteresse du Havre (Festung Le Havre) ne tombera pas aussi facilement que prévu : les soldats britanniques ayant affronté les défenses allemandes sur le plateau dominant Harfleur sont tombés dans le piège des armes automatiques et des mines, les pertes ne sont pas négligeables. Va alors s’engager un bras de fer entre généraux britanniques et le commandant allemand du Havre, le colonel Eberhard Wildermuth. Si ce dernier n’est pas un nazi fanatique, il a tout de même reçu l’ordre de tenir Le Havre jusqu’au dernier homme…

Alors que deux divisions britanniques encerclent petit à petit notre ville (la 49ème West Yorkshire Division à l’Est et la 51ème Highlander Division au Nord), l’évacuation des civils est ordonnée, mais de nombreux Havrais gardent encore le souvenir du départ inutile de 1940, après lequel bon nombre avait retrouvé leur maison pillée. Et puis les Alliés sont si proches du Havre… Si bien qu’environ 60000 personnes restent malgré les appels à l’évacuation du commandant allemand, dont les premiers datent du 19 Août et de ceux de la municipalité.

Cette présence des civils va devenir pour les Britanniques un moyen de pression psychologique. A la table des négociations dans un pavillon de Gonfreville l’Orcher où représentants allemands et britanniques se rencontrent le 3 septembre, la menace des Alliés est claire : si les forces allemandes ne capitulent pas, ils lanceront une série de bombardements stratégiques sur la ville, avec toutes les conséquences que l’on connaît… Quel est l’enjeu pour les Alliés ? Gagner quelques jours sur la capture du port car leurs troupes sont déjà loin en Belgique. D’autre part, ils savent qu’à cette date ils n’ont pas les moyens d’entreprendre un assaut de grande envergure sur les lignes fortifiées du Havre (les derniers éléments britanniques participant à l’attaque du Havre arriveront autour de la Forteresse peu avant l’assaut du 10 septembre).

Refus de capituler chez les Allemands (4 Septembre), " trop tard pour évacuer les civils " pour les Britanniques, sous prétexte de " mouvements et d’opérations de troupes ", le 5 septembre débute le premier bombardement. Entre 18 h 00 et 20 h 00 c’est l’apocalypse : 348 avions pilonnent le centre-ville et les Havrais pris au piège. Les 1880 tonnes de bombes de gros calibres anéantissent les quartiers et réduisent chaque maison en un tas de briques, comme l’aurait fait un tremblement de terre avec en plus, les explosions et les incendies. Les importants feux allumés par les bombes incendiaires, poussés par un fort vent d’Ouest sont combattus courageusement par les pompiers…

" A 18 h 05, un grand nombre d’avions survolent le quartier de l’Hôtel de Ville et lancent des fusées. Nous avons à peine le temps de gagner les abris que déjà les bombes tombent, des bombes de tous calibres et cinq minutes après le quartier est plongé dans l’obscurité totale, l’air est irrespirable…Nous sommes comme dans un navire en détresse au milieu de l’océan : les portes de notre abri sont arrachées, les murs lézardés, d’une minute à l’autre nous voyons la mort arriver. Que se passe-t-il dehors ? Impossible de sortir… Il est impossible de se tenir debout par le déplacement de l’air. Nous mettons notre mouchoir mouillé sur la bouche, le nez et les yeux pour pouvoir respirer et ne pas être aveuglés… " (extrait des notes de P. Latrille, agent de liaison de P. Courant, Maire du Havre en 1944).

" Je suis en haut de l’escalier C.-Lorrain (à côté de l’actuel émetteur de télévision à Graville) et soudain, un petit avion arrive au-dessus de la ville. A sa verticale, il lance une fusée. Quelques instants après, une formation de bombardiers arrive et nous assistons, impuissants, au massacre de notre ville. La fumée et la poussière forment un gigantesque écran. La ronde infernale continue pendant deux heures. (Henri Lemarchand, 23 ans en 1944.)

 

Le 6, c’est au tour des quartiers de Frileuse, Aplemont, Graville, Caucriauville et Jenner d’être la proie des bombes : 271 avions déversent entre 18 h 00 et 19 h 30, 1504 tonnes de bombes. Sous le tunnel Jenner alors en construction la tragédie continue : une bombe tombe à l’entrée d’une des galeries obstruée car non achevée et bloque les personnes terrorisées venues s’y réfugier. 319 meurent étouffées.

Parmi les ruines, sous une chaleur étouffante, les Havrais démunis de tous moyens s’organisent pour essayer d’extraire des décombres les quelques survivants restés bloqués sous ce qu’il reste de leur maison. De nouveau, secouristes bénévoles, médecins, infirmiers, religieux travaillent sans relâche pour transporter, soigner, opérer les blessés dans des conditions d’hygiène difficiles et précaires, jusqu’au 12 Septembre.

 

Les 7, 8, et 9 septembre, les bombardements se poursuivent mêlés aux tirs d’artillerie puis de ceux des navires de la Royal Navy venus en renfort au large du Havre... (au cours du bombardement du 8, le village de Fontaine-la-Mallet est détruit en grande partie). Pendant plusieurs jours, les habitants du Havre et des environs sont donc pris sous un déluge constant d’obus et de bombes. La pluie diluvienne de ces jours accroît encore la désolation.

 

Le 10 septembre, après un bombardement de deux heures où 992 avions déversent 4719 tonnes de bombes sur les lignes fortifiées en périphérie du Havre, réduisant cette fois-ci à néant Fontaine-la-Mallet, la 49ème West Yorkshire Division débute l’assaut à 17 h 45 sur le plateau d’Epremesnil. Les chars, pour la plupart ralentis par un terrain détrempé, sont pris sous le feu des canons allemands, des explosions de mines. Ce n’est qu’à 19 h 51 que le premier point fort (n° 5) tombe sous une ultime attaque au lance-flammes. Les autres points forts seront conquis par la suite et pendant la nuit. A minuit, les troupes alliées ont investi le plateau et s’arrêtent à sa lisière dominant Rouelles.

La 51ème Higlander Division lance son assaut le 11 à 0 h 11 vers Fontaine-la-Mallet.

Les blindés progressent sur les trois franchissements du secteur Laura face au Point Fort N° 5. Les Crocodiles de l'escadron A du 141th Royal Armoured Corps embrasent les défenses périphériques de la ferme avec leur lance-flammes (la portée du jet peut atteindre cent quatre-vingts mètres). Arme de terreur, elle sera pour beaucoup dans l'effondrement des positions avancées allemandes. Néanmoins, un blindé touché par les tirs de défense a explosé et brûle (au centre de la photo).

En attendant leur tour pour progresser, ces soldats se plaquent au sol afin de s'exposer le moins possible aux redoutables tirs de mortiers allemands. En arrière, les Flails du 22nd Dragoons, les AVRE porte-pont du 222nd Assault Squadron et les "Pétards" du 617th Assault Squadron suivent.

Au matin, des éléments de la 49ème division britannique venus de Gainneville attaquent le plateau d’Harfleur et pénètrent en ville. Ils atteignent le soir le stade municipal où ils s’arrêtent. Dans la journée, les autres troupes progressent jusqu’à Frileuse, la place Sainte Cécile (pour la 49ème) ; vers Dondenéville, Octeville-sur-Mer, Sanvic, Bléville, Sainte-Adresse (pour la 51ème). En cette fin de journée du 11, les troupes stoppent sur les hauteurs du Havre. Presque tous les habitants de la ville haute sont libérés. Quelques Havrais gravissent la côte pour venir au-devant des chars dont le rugissement des moteurs est entendu en ville.

 

Le 12, les blindés poursuivent leur progression et les troupes de la 49ème division atteignent le Rond-Point, la place Thiers, les ruines de l’Hôtel de Ville. D’autres nettoient la zone portuaire. La 51ème division achève la prise de la ville haute, d’Octeville, des batteries côtières de la Hève et Bléville. Quel que soit leur itinéraire, leur parcours s’accompagne de drapeaux tricolores qui avaient été cachés depuis quatre ans. Mais ces drapeaux portent, pour un grand nombre, un crêpe noir car les Havrais sont en deuil.

" Au fur et à mesure de notre progression, nous découvrons toute l’ampleur du désastre. Un sentiment de terreur, d’horreur nous envahi mais aussi de culpabilité, même si individuellement nous y sommes pour rien " (extrait du témoignage du colonel Jelf – 49ème West Yorkshire Div.)

" Non loin de l’école Valmy, la nervosité est générale. Tirs de canons, crépitement d’armes légères et bruits de chenilles sont entendus dans un calme relatif. Les voilà ! Vers onze heures quelques soldats avancent prudemment, longeant les murs. Puis les chars arrivent... Autour de la place Humbert où plusieurs blindés sont stationnés, les Havrais observent les troupes et leur équipement. Mon père me dit : Tu as appris l’anglais, tire un pot de bière et va le donner aux gars des chars. Je m’exécute mais la conversation est brève ! " (extrait des souvenirs de Louis Le Quéré – 15 ans en 1944). "

 

A 11 h 30 , la garnison allemande capitule alors que sur le port les affrontements continuent (les derniers soldats se rendront le 13). Dans la soirée, une cérémonie a lieu autour du monument aux Morts, réunissant les autorités du Comité Local de Libération, des officiers britanniques, le Maire avec ses conseillers et une foule impressionnante, juchée sur les ruines.

Monsieur P.Courant s'approche du monument devant l'impressionnante foule recueillie pour laquelle ces moments sont inoubliables. En arrière du drapeau des Sauveteurs et Ambulanciers (sur lequel un crêpe noir est visible à la hampe), des policiers et des F.F.I. en arme assurent le piquet d'honneur. Le sol est resté couvert de gravats projetés par les explosions. Seul un passage a été dégagé pour la cérémonie. Les ruines des Galeries du Havre, rappellent le lourd tribut payé par notre ville à cette guerre. Les maisons incendiées à droites sont à l'angle des rues E.Larue et V.Hugo.

Le Havre est libéré, mais à quel prix… 5126 morts depuis 1940, une cité détruite à 80%, partout où l’on regarde, des ruines à perte de vue. 31 000 Havrais sont sans toit, sinistrés totaux, 60 000 sont sinistrés partiels. La quasi-totalité du patrimoine de la ville a disparu.

Le port est de plus inutilisable : plus de 320 épaves gisent dans les bassins et chenaux, les écluses et les ponts sont très endommagés. 180 000 m² de hangars sont réparables sur les 360 000 existants avant guerre, aucun quai n’a été épargné, les digues comportent des brèches. Il faudra vingt ans pour reconstruire l’outil portuaire…

Peu à peu, les Havrais vont renaître des décombres. Les troupes américaines arriveront dès le 18 septembre et leur premier travail sera consacré au déminage et au déblaiement des ruines afin de créer les premières pistes pour permettre aux camions chargés d’hommes, d’armes, de munitions, de vivres et de carburant de partir vers le front.

En 1945 et jusqu’en août 1946, 3 675 000 soldats alliés rejoignent leur pays en transitant par Le Havre, devenu 16ème port (16th Port).

 

De l’après guerre à aujourd’hui

A partir de 1946, Le Havre va devenir un modèle expérimental dans le domaine de la reconstruction sous la direction de l’architecte Auguste Perret. Toute la ville basse, l’Hôtel de Ville et d’autres édifices publics bénéficieront de ce plan.

Dans les années 1960, le trafic de passagers empruntant les paquebots prend une ampleur considérable et atteint son apogée grâce au " France " dont l’escale inaugurale a lieu en février 1962. Il cessera son activité en 1989.

Alors que la renaissance de la ville se poursuit, Le Havre est relié en 1959 à la rive gauche de l’estuaire grâce au pont de Tancarville. Cet ouvrage dont les dimensions étaient inégalables pour l’époque, est maintenant dépassé par le Pont de Normandie qui franchi la Seine plus à l’Ouest.

Le schéma d’extension du port vers le Sud et l’Est mis en place dès l’après guerre, favorise le développement industriel des raffineries pétrolières et dérivés. A partir de 1968 apparaissent les premiers containeurs.

Cette nouvelle génération de produits manutentionnés permet aujourd’hui au port du Havre d’être le premier port de France en matière de marchandises diverses (16.20 Mt) et de conteneurs (1 378 379 conteneurs EVP, soit 12.82 Mt en 1999).

64.42 Mt de trafic, 7108 navires enregistrés, 849 000 passagers transmanche, 30 000 passagers en croisière, 34.06 Mt de pétrole brut et 3.63 Mt de charbon etc., tels sont quelques résultats enregistrés en 1999.

Le Havre bénéficie d’atouts importants (proximité de la région Parisienne), premier port en eau profonde sur la Manche avant la Mer du Nord, faisant de la région un pôle économique et industriel au potentiel considérable.

Survol d’un avion allié du centre ville après les combats pour la libération du Havre. Au premier plan :

à gauche parmi les ruines ; l’église Notre Dame puis la rue de Paris se dirigeant vers l’hôtel de ville,

à droite ; le Bassin du Roy, l’Anse Notre-Dame et les ruines du quartier Saint-François