Batterie d’artillerie côtière d’Ecqueville – Octeville-sur-Me

 

1°) Description générale et situation :

Située à 8 kilomètres au Nord du Havre, entre les falaises et la route d’Etretat (D 940), à 96 mètres d’altitude sur le plateau, cette batterie ne faisait pas partie initialement de la forteresse du Havre, comme sa conjointe la batterie de la ferme Valentin située à 1,5 kilomètre au sud-ouest au hameau de la Brière. En effet, le fossé antichar qui contournait toute la ville par le nord et derrière lequel les Allemands avaient établi leurs défenses se séparait en deux branches à Dondenéville, pour aller d’un côté vers la falaise au Croquet et de l’autre vers le nord en incluant le village d’Octeville-sur-Mer. Il semblerait, à l’observation des photographies aériennes, que cette dernière branche n’était pas terminée en 1944 : le tracé s’arrête au niveau du hameau de la Bruyère pour reprendre partiellement au nord de la position vers la falaise. Si les défenses présentaient ici un point faible, la position d’Ecqueville, entourée de réseaux de barbelés et de mines, était à elle seule le noyau dur de cette partie du front terrestre.

 

2°) Historique : 

Important dispositif appelé dans les alentours " batterie Dégenétais " (du nom du propriétaire de la ferme), la position comprend quatre canons de 105 mm Tchèques (dénomination allemande :

10,5 cm k 35 (t)). Au printemps 1942, ces pièces d’artillerie d’une portée de 18,3 km sont placées dans des positions à ciel ouvert, d’une profondeur d’un mètre dans la terre, dont il ne reste plus de traces actuellement. Ces encuvements sont reliés entre eux par des galeries souterraines, évitant aux servants de s’exposer au danger des bombardements pour rejoindre leur poste de combat. Dans la ferme et les propriétés voisines, une multitude de petits ouvrages sont édifiés et servent de cantonnement, de réserves à la troupe.

La batterie appartient à cette époque au bataillon 778 de l’artillerie côtière de l’armée de terre (H.K.A.A. 778 – Heeres Küsten Artillerie Abteilung ) et porte le numéro 1. Elle est commandée par l’Oberleutnant Mau. Avec sa voisine, la batterie de l’artillerie de marine de la Brière située ferme Valentin, (deux canons de 75 mm), elles font partie du secteur de résistance Stützpunkt Brière.

En 1943, l’Organisation Todt débute la construction des casemates afin de protéger les canons. L’une d’elles sera camouflée plus tard en chaumière normande de façon à la confondre dans le paysage. En arrière des quatre casemates, une tour d’observation et de guidage des tirs est également édifiée. Cette tour est surmontée d’un mirador en construction métallique qui offre la possibilité aux observateurs d’avoir un meilleur angle de vue vers le large et de diminuer l’espace caché par le sommet de la falaise. Un autre poste d’observation, relié au précédent a, pour cette même raison, été édifié au bord de la falaise.

Au 1er juillet 1943 et jusqu’à la fin de cette même année, cette position appartient toujours au H.K.A.A 778 (poste de commandement au Havre). Son armement secondaire est entre autres : un canon de 155 mm français, deux canons de D.C.A de 20 mm (2 cm Flak 38). Un peu plus au sud,la batterie de la ferme Valentin est au 28 août 1943 équipée de quatre canons de 155 mm français. Elle dépend toujours de l’artillerie de marine.

En février 1944, une réorganisation dans l’artillerie allemande fait qu’Ecqueville devient la seule position du secteur : les canons de 155 mm de la batterie de la Brière (ferme Valentin) ont été déplacés au cap de la Hève. La batterie fait partie du régiment d’artillerie côtière 1254 (Heeres Küsten Artillerie Regiment 1254) en place au Havre et dont le poste de commandement est situé dans un gros bunker sous le Fort de Sainte-Adresse (rue Chef-de-Caux). Elle porte le numéro 1.

C’est à cette même époque que les travaux de défense s’accélèrent : les Allemands réquisitionnent les fermiers des environs dont M. Dégenétais avec leurs chevaux pour installer de nombreuses défenses dont les fameuses asperges à Rommel (pieux ou troncs d’arbres plantés dans le sol à la verticale, munis d’une mine à leur sommet pour empêcher l’atterrissage des planeurs). Autour de la ferme, les Allemands installent derrière le talus, divers nids de résistance équipés de mitrailleuses et de mortiers. Plusieurs maisons sont abattues pour dégager le champ de tir.

C’est la 5ème compagnie du Luftwaffen Regiment 33 qui occupe la position en 1943 et jusqu’en août 1944. Environ trois cents soldats sont retranchés dans les ouvrages bétonnés édifiés dans le corps de ferme et les baraquements construits spécialement par l’O.T.. Monsieur Dégenétais se rappelle être allé ravitailler en nourriture, accompagné d’un soldat, les servants des pièces d’artillerie et les observateurs au bord de la falaise. La vie de ces hommes est axée aux occupations militaires et à l’entraînement au tir : un stand a d’ailleurs été construit sur le site de la batterie. Pendant leur temps libre, ils peuvent aller au cinéma, faire du sport dans le corps de ferme. Parmi eux, certains artistes ont décoré leur bunker de peintures murales encore visibles de nos jours. Elles représentent les canons mais aussi quelques scènes de la vie quotidienne.

A l’aube du 6 juin 1944 et les jours suivants, les observateurs scrutant le large voient passer " sous leur nez " les navires de la flotte alliée. Mais les tirs ne débuteront que plus tard. Au cours des mois de juillet et août, les salves se suivent dans un premier temps sur les bateaux alliés s’approchant trop près de la côte, puis pour protéger le repli des navires allemands remontant vers les ports du nord de la Manche.

En septembre 1944, la position est bombardée le 3 puis le 7. Le 10, l’assaut britannique pour la libération du Havre débute sur le plateau d’Epremesnil. C’est la 51 Higlander Division (division écossaise) qui doit nettoyer le secteur par un mouvement circulaire depuis Fontaine-la-Mallet vers Octeville-sur-Mer.

Le 12 septembre, alors que la libération du Havre est pratiquement achevée, les éléments du

2nd Seaforth appartenant à la 152ème brigade progressent sur cette partie de la côte en se dirigeant vers le Nord. Vers 11 h. 00, plus de trois cents allemands se rendent à cette unité après avoir saboté les canons. Octeville-sur-Mer est libéré à 13 h. 00.

La famille Dégenétais reviendra à la ferme après la libération dans ce désert lugubre truffé de mines. Elles feront de nombreuses victimes de même que les munitions abandonnées.

3°) La batterie d’Ecqueville de nos jours :

Le site d’Ecqueville s’étend depuis la route départementale 940 à l’Est jusqu’aux falaises à l’ouest, soit environ un kilomètre, mais la majorité des ouvrages se situe entre la rue d’Ecqueville et la falaise.

A ce jour, seule la partie comprenant la zone des casemates est classée

 

Ce site peut être divisé en quatre secteurs :

 

- la ferme Dégenétais : elle regroupe divers ouvrages dont un pour les officiers occupant la maison (abri, n° 22), un baraquement servant de cuisines (n° 25). Le chemin venant de la D 940 constitue l’accès principal de la batterie. Il est défendu notamment par deux " Tobrouks " nos 28c (nids pour mitrailleuse ou mortier). Les autres armes étant dissimulées derrière le talus de la ferme.

- la zone entre la rue d’Ecquevile et la tour de direction de tir : elle comporte une série d’ouvrages qui ont un lien direct avec la position d’artillerie ou la vie de la troupe. Les soutes à munitions (n° 21) sont alignées le long du chemin menant à la falaise ; les trois corps de ferme dissimulent plusieurs petits ouvrages abri (nos 16, 17, 18), une infirmerie au centre (n° 27), un casernement (n° 24 – immeuble en blocs, il servira longtemps après guerre d’habitation et a été détruit en 1991), une écurie (n° 26).

- la zone des casemates : cette partie située en " terrain découvert " est le siège de plusieurs générations de bunker.

A l’origine, les canons étaient placés dans des encuvements bétonnés à ciel ouvert (nos 5 à 10) reliés entre eux par une série de galeries bétonnées (nos I, II, III, IV, V). Ces galeries sont toutes munies d’une à deux salles de repos pour les servants de garde ; certaines portent encore le prénom d’une femme attribué par ces soldats. Il ne reste pas de traces visibles des positions des canons, les encuvements étant enterrés à une profondeur d’un mètre environ dans le sol.

Les casemates proprement dites : au nombre de quatre (nos 1 à 4), elles sont du type Regelbau 671 (numéro du plan de standardisation des ouvrages allemands construits à partir de fin 1942) orientées vers la mer et en liaison avec la tour de direction de tir située en retrait.

La casemate camouflée en chaumière normande est celle située au nord (n° 1). Les autres, qui étaient recouvertes de terre sur les côtés, possèdent sur la partie supérieure un crépis améliorant le camouflage. En avant, plusieurs gros bunkers, du type standard R 621 (ouvrages abris, nos 14-15) dont l’un d’eux est orné de fresques peintes par les soldats et un ouvrage abri pour munitions (R 607, permettant d’y stocker 750 obus de 105 mm) sont construits. Tous les ouvrages standards possèdent des murs dont l’épaisseur est de deux mètres vers l’extérieur au contraire des ouvrages cités précédemment, construits avant le plan de standardisation mis en place par l’Organisation Todt, dont l’épaisseur moyenne des murs est d’environ un mètre.

- les ouvrages situés en périphérie : la batterie dispose de deux positions pour canon antiaérien de 2 cm Flak (DCA) situés suffisamment loin pour avoir un champ de tir dégagé (11-12). Ces canons sont des armes redoutables pour les chasseurs s’infiltrant à basse altitude. La protection du site à haute altitude était assurée par la batterie de Flak d’Edreville (à l’emplacement actuel de l’usine Sidel) équipée de canons de 8,8 cm et 10,5 cm Flak.

Au nord du chemin menant vers la falaise, un stand de tir (28a et b) a été édifié. A 400 m au sud de ce même chemin, sur le bord de la falaise, le second poste d’observation permettait aux guetteurs de scruter le large et de transmettre leurs observations.

4°) Conclusions

Par son étendue et sa diversité des ouvrages (bunkers de deux générations, tour de direction de tir (pièce unique sur le Mur de l’Atlantique) , casemates, souterrains, écurie, abris etc.), Ecqueville est le site au Havre qui permet le mieux aux curieux de se rendre compte de l’organisation d’une telle position. D’autre part, la plupart des ouvrages subsistent de nos jours même s’ils sont en terrain privé. Il serait très intéressant de mettre à jour les ouvrages enterrés, restés intacts (dont celui orné de fresques murales) qui sont reliés par souterrains, ce qui en fait un attrait supplémentaire de visite. Ces travaux sont de faible importance en dehors des terrassements.

Vue actuelle de la casemate n°1. Au premier plan, un Tobrouck (nid pour mitrailleuse) relié par souterrain aux ouvragess adjacents.

 

La même casemate camouflée en chaumière normande avec ses colombages et son faux toit de chaume sont encore très visible. Le tube du canon, saboté par les servants avant leur rédition, gît au sol, devant l'embrasure.

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